“ La Passion des Palmiers ”, éditions Rom à Nice, (1995).
A Elzeard Bouffier
« L’homme qui plantait des arbres » *
*Le fait qu’Elzéard Bouffier soit une invention romanesque de Jean Giono ne change rien à ma dédicace. A.H.
Eloge, description, ethnobotanique,
culture, acclimatation
des palmiers du Sud de la France
et du Nord de l'Italie
"Le paysage existe déjà en tant qu'aventure ou intrigue végétale d'un intérêt fou...Pour vivre le paysage, il convient d'en avoir l'adéquation dans sa capacité de sentir. De humer surtout..."
Charles-Albert Cingria
"Le palmier Areca oleracea fournit des stipes de 49 à 52 mètres" Aug. de Saint-Hilaire
" Une vaste ceinture de palmier entoure la planète" Théodore Monod
"...in palmis semper parens juventus. In palmis resurgo" von Martius
"L'habitat de l'homme se trouve sous les tropiques de la planète, où il vit des fruits du palmier. Il subsiste dans les autres parties du monde, où il doit se nourrir de céréales et de viande" Carl von Linne.
Préface
Bien sûr, Linné avait raison. Pourquoi l'humanité n'est elle pas restée à vivre nonchalement sous les tropiques, où elle était née? En harmonie avec les autres espèces vivantes animales et végétales. Elle n'aurait jamais inventé l'industrie, l'entassement des villes, le progrès technique, la croissance économique et les manipulations génétiques...
Le palmier Phoenix canariensis qui s'ébroue en ce moment, sous la pluie d'un vendredi saint, devant ma fenêtre, ne cesse de me le répéter depuis quinze ans. Il me le dit de diverses manières en réfléchissant la lumière du soleil avec ses palmettes, en jouant de l'orgue par grand vent, en rythmant l'obscurité de la nuit de ses dents argentées. Les arbres parlent. Qui en doûte?
Ne me racontez pas d'histoire. On ne peut parler d'un palmier que lorsqu'on se trouve assis face à lui. Le dos calé au tronc d'un autre palmier. On pense mieux assis. Qu'il s'agisse d'un dattier, d'un Washingtonia ou d'un Roebelenii, il faut l'avoir s'en remplir les yeux. C'est ce que je me suis astreint à faire, avant d'entreprendre la description de chacun des palmiers dont je parle dans ce livre.*
Je suis aussi , chaque fois que possible, allé voir dans son biotope d'origine, chacun des palmiers que nous voyons acclimatés ici sur la Côte d'Azur et la Riviera dei fiori.
Les palmiers sont des êtres vivants, proches de nous. On s'en persuade en les plantant depuis la graine, en étudiant leur habitat et leur climat, c'est à dire la manière de vivre qui leur plaît le plus, qui convient le mieux à leur développement. Si nous les dépaysons en les transportant de leurs forêts tropicales natales dans nos latitudes froides, si nous tentons de les acclimater à de nouvelles conditions de vie, nous prenons des responsabilités à leur égard et nous leur devons des égards. Et nous devons savoir qu'ils sont presque toujours moins beaux ici que dans leur pays d'origine, où ils se développent dans des conditions optimales. C'est pour cette raison que dans ce livre, lorsque je décris une station d'acclimatation de chaque espèce de palmier sur la côte française ou italienne, je mets toujours en regard son pays d'origine.
Les palmiers ont rendu tous les services à l'humanité, lorsque celle-ci débarqua toute nue sur la planète Terre, il y a trois millions d'années. Ils lui donnèrent à manger , à boire , de quoi s'habiller , construire des huttes, etc... Aujourd'hui dans nos pays ils ne sont plus là que pour apporter de la beauté dans nos paysages. Mais que peut-on donner de plus précieux que la beauté?
Si nous nous enthousiasmons pour leur variété, si nous souhaitons introduire de nouvelles espèces, c'est pour nous mettre sous les yeux davantage de beauté. Ce n'est pas par manie de collectionneurs botanistes. Pensons-y. Ce qui depuis des siècles, et jusqu'à nos jours, a bouleversé les découvreurs de palmiers, Humboldt, Bonpland, Ramon de la Sagra, Karwinski, Martius, Barbosa Rodriguez, Beccari... et les acclimateurs Geoffroy Saint-Hilaire, Chabaud, Nabonnand, Robertson Prochovski, Thuret, Naudin, Ludovico Winter, Edouard André, Léopold de Belgique, Marnier Lapostol, Alain Moinié...* c'est la beauté. des palmiers qu'ils découvraient, qu'ils plantaient.
Arrêtons nous, nous aussi, pour les regarder, pour méditer avec eux qui s'élèvent depuis leurs racines, depuis la terre et l'eau obscures, jusqu'à toujours davantage de lumière. Avec leurs palmes, les palmiers dessinent un ciel, racontent des vents que nous n'aurions jamais su voir sans eux.
De ses racines à son panache, le palmier, c'est la méditation, l'érection, l'orgasme. Comment douter qu'ils vivent.
Arrêtez vous pour suivre un panache de Washingtonia robusta jouant à vingt mètres de haut avec le Mistral.
J'aurais des idées pour rédiger une déclaration des droits des plantes. Des palmiers au premier chef. Les palmiers en captivité qui ornent les salons des hôtels, les restaurants et autres lieux publics, ont le droit de recevoir régulièrement de l'eau et de ne pas voir leur pots remplis de mégots de cigarettes. Les palmiers de ville ont le droit de conserver leurs palmes tant qu'elles sont vertes. Seules les palmes mortes peuvent être coupées pour des raisons de sécurité. Sachez qu'en coupant les palmes vertes d'un palmier, vous ralentissez le volume de ses échanges avec la lumière et donc sa croissance. Les palmiers dans la forêt qui est leur domicile naturel, ne reçoivent pas la visite des élagueurs et disposent de leur palmes mortes selon leur tempérament. Les Washingtonia filifera les conservent et cette jupe géante fait leur beauté. Les palmiers ont le droit de ne pas être tronçonnés, pour permettre le passage des automobiles. Comme ce fut le cas pour deux canariensis centenaires devant la gare de la plage de Hyères en 1990. Les palmiers ont le droit de ne pas être plantés de clous dans leur chair pour y accrocher des banderoles ou des projecteurs. N'installez pas au soleil des palmiers d'ombre, ni l'inverse. Ils n'auraient pas choisi eux-mêmes ces situations contraires à leur tempérament. Délivrez les palmiers des pots dans les quels leurs racines tournent en rond cherchant la terre profonde, la fraîcheur, et des jouissances obscures que nous ignorons. Ne faites aux palmiers ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit.
A reconnaître et respecter les qualités des autres vivants, l'homme ne peut que renforcer sa qualité d'homme.
N'allez pas croire que le sujet du palmier soit restreint, toc, futile. Il n'y a pas plus grave. J'en parle avec liberté, irrespect, passion. Je projette sur eux mes interrogations, mes capacités humaines d'observation et d'éloge. Partie du tout, le palmier permet, et par une voie qui semble aisée, d'accéder au tout. Voilà pourquoi je milite pour partager ma passion.
Le palmier est ancien, quelque cinquante millions d'années, sa mémoire participe encore à celle des débuts de la vie. Il se tient à part, même lorsqu'il prolifère. Il a vocation à l'élévation. Il est lent. Il médite. Il tient commerce de beauté. Que peut un être vivant nous donner de plus, je vous le demande?
Plantez des palmiers de tous les âges, de la graine à l'arbre adulte. Il se transplante facilement en été, lorsque la terre est chaude. Plantez des palmiers pour vous, pour en jouir, pour vos enfants, pour vos petits enfants, pour qu'en jouissent les générations futures. Laissez leur le plus beau mémorial qui soit, un mémorial végétal. Léguez leur de la beauté vivante*.
Et puis, entre deux sommeils, deux amours, deux vins, lorsque nos racines vont comme les siennes chercher dans le noir, le buio, le blues, essayons de le suivre dans le morceau d'univers qu'il occupe. Difficile. Lui à sève froide, nous à sang chaud. Un rien nous sépare, je le soupçonne. Patience. Nos racines iront se mélanger aux siennes un jour.
Les indiens Cahuilla de Californie du sud rapportent cette légende pour expliquer la présence du Washingtonia dans leur région: Un de leurs ancêtres, chef de tribu, se sentant près de mourir voulait encore aider son peuple, il leur dit: "je vais devenir un palmier. Il n'y a pas de palmier dans le monde. Mon nom sera désormais Moul' (le palmier) Ensuite il se tint très droit, très fort, très puissant et l'écorce commença de remplacer sa peau, et des palmes vertes jaillirent du sommet de sa tête".
*je n'ai pas utilisé les appellations botaniques de stipe au lieu de tronc, et, par commodité de langage encore, j'ai appelé les palmiers, des arbres, alors qu'il s'agit de monocotylédones.
* Tous ces gens devraient avoir depuis longtemps leur monument sur la Côte d'Azur, sur lequel leur nom serait gravé dans la pierre. Et les enfants des écoles, la bouche ouverte, apprendraient que sans ces ancêtres, explorateurs, découvreurs, ramasseurs de graines, planteurs, arroseurs, la Côte d'Azur n'existerait pas, car ils l'ont verdie et empanachée pour les générations futures. Vous imaginez la Côte chauve de ses palmiers? Il suffit de voir à quoi ressemblent les communes qui ont oublié d'en planter il y a cent ans.
*Aujourd'hui, une nouvelle génération d'amateurs de palmiers plante à profusion . Ce sont aussi bien des particuliers que des municipalités. Le résultat sera bientôt spectaculaire. L'avenir touristique des villes se décide avec leur programme de plantations. Imaginons que la Côte ait été plantée de palmiers partout où l'on a mis des pins, ( autre espèce importée et qui stérilise le sol). A quel point elle serait plus luxuriante et moins vulnérable au feu .
Je remercie Violette Decugis, Jacques Deleuze, Alain Jamet et Francesco De Santis, qui ont relu ce manuscrit et m'ont aidé de leurs conseils.
Les coriaces de l'Himalaya
Les Trachycarpus fortuneï
Toulon / Yunnan, Chine
"et, alors on se penche de nouveau sur des terrasses où les palmiers mugissent" Charles Albert Cingria
"Le palmier îvre de sa pelouse" Paul Morand
Autrefois les matafs qui revenaient de permission leur sac sur l'épaule, retrouvaient la Méditerranée en descendant du train, avec les Phoenix canariensis de la place de la gare. Les palmiers ont laissé leur place à un parking souterrain. Les édiles et les aménageurs bousculent un paysage sans jamais demander l'avis de ceux qui en jouissent. Il faut maintenant descendre jusqu'à la Place de la Liberté, pour trouver les premiers palmiers de Toulon. Et parmi eux, de très vieux Trachycarpus fortunei. Indifférents au Mistral glacé de l'hiver, à l'environnement goudronneux et à la pollution automobile, ils continuent de produire leurs éventails glauques et raides.
Ce coriace atteint donc des latitudes inaccessibles à ses congénères. Il fallait un Ecossais pour l'inventer. Celui-ci, Robert Fortune, avait été chargé par la Royal Horticultural Society anglaise, d'aller chercher des plantes en Chine pour les acclimater en Europe. En 1847, il publia "Trois années de voyages dans les provinces septentrionales de la Chine" Cherchant des variétés de thé, il avait rapporté en 1842 des graines du celui qu'il appelait le palmier de Chusan et l'avait planté à Kew. Il avait suivi sa piste jusqu'à 2.400 mètres d'altitude dans les contreforts de l'Himalaya, dans le Tsin-Kiang et le Yunnan. Ce sinohimalayen arrive pour la première fois en France à Montpellier en 1851 ou 57 dans le jardin de monsieur Planchon, fut introduit au jardin des plantes de Paris en 1862 par Carrière. Décrit en 1863 dans le bulletin de la Société Botanique.
Sa rusticité lui a permis de coloniser l'ouest de la France et le Bassin Parisien. J'en ai même vu en pleine terre en Ecosse dans la région de Dundee et d'Edimbourg. Ils ne se plaignaient pas.
Ce qui signifie qu'il aime l'ombre, la fraîcheur et l'air humide. Mais ses ressources génétiques sont vastes, puisqu'il s'accommode très bien de la chaleur estivale et de la lumière du Midi.
Le Trachycarpus porte un manchon fourré, cette fibre sert en Chine à confectionner de nombreux textiles, dont des capes très seyantes les jours de pluie dans les rizières. En Europe on n'en fait rien. On se contente de le regarder au XIXème siècle de part et d'autre du perron des maisons bourgeoises pour signaler le goût d'exotisme du propriétaire. Pour la même raison, en Normandie, il est souvent accompagné d'un araucaria ou désespoir des singes. Ces arbres, souvent âgés de cent ans, attendent manifestement une relève urgente. Quand les municipalités nordistes, dont celle de Paris vont-t-elles se décider à planter le Tachycarpus en alignement et en pleine terre?
Pour les amateurs éclairés, trois variétés, le wagnerianus , dont la palme est plus robuste, plus résistante au vent, le martianus , plus argenté plus léger, finement découpé, plus tropical d'aspect, le takil plus puissant. Le martianus a été trouvé au Népal par Wallich, il l'a nommé en hommage à von Martius le grand palmologue allemand; les takil que l'on voit au jardin botanique de Rome, et à l'Université des Sciences, résultent de graines rapportées par Beccari du mont Takil en Inde du nord.
Trachycarpus est formé de deux mots grecs: trachys , rude, amer et karpos , fruit. Fortuneï, en hommage à l'Anglais qui l'a découvert. Et encore, ne ratez pas en Avril l'inflorescence mâle couleur beurre frais.
J'allais oublier: un Espagnol près de Gerone, vient de planter 25.000 Trachycarpus autour de sa maison...
Les colonnes du temple
Les Jubaea chilensis
Hyères les palmiers / Ococa, Chili
"Les palmiers sont les enfants de la Terre et de Phoebus"
von Martius
"Le palmier de Delos, date du temps d'Apollon lui-même, c'est à dire de l'âge cosmogonique." Pline
Lorsque vous les aurez repérés dans le jardin d'une résidence, à vingt mètres de la route de Costebelle, à Hyères, entrez, marchez jusqu'à eux. Ils vous attendent depuis cent ans ou plus. Ils sont six. Six Jubaea chilensis. Touchez les les yeux fermés. Un Jubaea se reconnaît, se parcourt, s'identifie au toucher, bien plus qu'à la vue. Palmier palpable entre tous, parce qu'il renvoie son velouté, sa douceur forte d'une existence durable et flagrante. On l'appelait autrefois spectabilis.
Baffo le chroniqueur vénitien, contemporain de Casanova, ne pouvait venir à bout de son admiration devant le spectacle de la nature qu'en en comparant tous les éléments au sexe de la femme. Qu'il s'agisse aussi bien de la forêt, du feu, de l'eau, du ciel, des arbres...Rêvons...(page104, édition française, si vous doutez de ma parole.)
Le Jubaea chilensis appartient il au règne végétal? On se le demande, en embrassant son tronc éléphantin. Jusqu'à un mètre trente de circonférence. Il s'élève à douze mètres sous notre climat, et marqué d'un étranglement inexpliqué (qui s'observe aussi au Chili) en approchant de son bouquet de palmes
Son habitat naturel se trouve au Chili, où il pousse dans des plaines proches du littoral, jusqu'à 33°55 de latitude sud.
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